De l'utilité de la critique de cinéma

Le critique idéal, c'est celui qui pense comme vous. Le critique idéal n'existe pas.
Le critique utile, c'est celui que l'on connaît. Mieux on le connaît, plus son avis est utile.
Et on le connaît par ses critiques.

La mémoire dans la peau, la mort dans la peau, Bloody Sunday, la vengeance dans la peau




Thème classique, l’amnésique à la recherche de son identité. Mais quand il y a une bonne histoire, quand chaque scène fait progresser le récit, quand chaque bagarre, fusillade, course-poursuite ont un sens, ça peut être passionnant. La quête est à la fois jubilatoire et effrayante, ce que Matt Damon arrive à faire ressentir à merveille. Il est étranger à lui-même. Ce qui le rend si proche. C’est un film d’action fascinant.

Pour faire croire que la suite n’est pas qu'une initiative commerciale, un réalisateur auréolé d’une réussite dans la fiction documentaire a été embauché ; Matt Damon a déclaré qu’il n’y participerait qu’à la condition que le scénario soit bon ; la promotion a insisté sur le fait qu’il s’agissait de l’adaptation de la suite du livre, et non pas de la suite du film ; on a engagé les mêmes acteurs, plus Joan Allen et un des guerriers farouches du Seigneur des Anneaux (Karl Urban, inexpressif). Peine perdue ! C’est un navet, inintéressant de bout en bout, parce qu’il est décalqué sur le premier film, et donc sans aucun intérêt, puisque tout est déjà dévoilé. Avec beaucoup de cascades, fusillades et péripéties qui ne mènent à rien. Le plus drôle étant Joan Allen. Elle a dû recevoir la consigne d’imiter Chris Cooper, le méchant du premier film. Elle le fait bien. C’est ridicule. La production a même recasé un second rôle (Julia Stiles) dans une tentative grotesque pour recréer l’équipe. Matt Damon interprète son personnage comme dans le premier film, ce qui n’a aucun sens. J’espère qu’il a gagné beaucoup d’argent car je l’aime bien.

Le réalisateur, Paul Greengrass, est l’auteur d’un film réquisitoire contre l’armée britannique, coupable du massacre d’innocents participants à une marche pacifiste en Irlande du Nord. Les faits sont terribles, et la démonstration semble implacable, filmée comme un documentaire, c’est à dire comme si un caméraman avait été présent pour filmer toutes les scènes du film. Donc l’image tremble, le cadrage est imposé par l’action, caméra à l’épaule, son d’ambiance. Mais on se rend vite compte qu’il s’agit d’un truc de mise en scène, parce qu’il ne peut pas y avoir de caméraman présent pour filmer certains plans. Le procédé se retourne contre lui-même puisqu’il apparaît comme une tricherie. Une tentative pour masquer la subjectivité du propos qui finalement attire l’attention sur la reconstitution partiale et finit par desservir le film. Le propos est peut-être admirable, les acteurs sont exceptionnels, mais n’aurait-il finalement mieux pas fallu traiter cette histoire de manière plus distanciée, sans point de vue clairement identifiable ?
Quand Paul Greengrass réalise La mort dans la peau, il conserve partiellement les trucs qui ont fait le succès de Bloody Sunday, et on se rend bien compte qu’il s’agit d’un artifice de mise en scène destiné à plonger dans l’action. Et le spectateur sait qu’il n’y a pas, dans l’histoire, de cameraman assit à l’arrière de la voiture pilotée par Matt Damon. L’image tremblante, le cadrage décalé, privilégient le fond (l’histoire) par rapport à la forme (l’esthétique). Mais ce sont surtout des manières de ne pas choisir, et finalement de ne pas mettre en scène.
D’ailleurs, Greengrass calme le jeu pour filmer La vengeance dans la peau – sans doute parce qu’il n’y a plus de fond du tout. Sans enjeu réel, cet ultime épisode suit Jason Bourne aux quatre coins du monde, dans des péripéties frénétiques qui démontrent à nouveau son extrême qualification – mais à quoi bon ? C’est assez haletant, Matt Damon fait son numéro habituel, mais in fine ces courses-poursuites ne mènent pas loin. On connaît son vrai nom. Super.

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