De l'utilité de la critique de cinéma

Le critique idéal, c'est celui qui pense comme vous. Le critique idéal n'existe pas.
Le critique utile, c'est celui que l'on connaît. Mieux on le connaît, plus son avis est utile.
Et on le connaît par ses critiques.

Miami Vice (2006)


Revisiter sa propre mythologie, c'est risqué. J'attendais beaucoup de cette mise à jour de la série par son propre créateur. Je suis déçu. Avec ses défauts évidents, qui sont les défauts des années 80 - des fautes de goût - cette série policière a renouvelé le genre. On y trouve déjà ces plans urbains abstraits et méditatifs, ces chutes de tension, ces accélérations, et aussi ce sens du récit, qui font de Michael Mann un grand cinéaste aujourd'hui.
La version 2007 offre une image haute définition saisissante, dont Mann tire des plans magnifiques, des fulgurances visuelles. Mais sur le fond, qu'apporte-t-elle ? Le scénario est à la fois complexe et dérisoire, et manque singulièrement d'ampleur alors qu'il s'emploie à nous balader de site en site par tous les moyens de transports imaginables (dont les fameux bateaux ultra-rapides, véritables signatures de la série). Jamie Foxx incarne bien Tubbs, mais il n'a pas grand chose à jouer : le personnage-clef reste Sonny Crockett, frimeur cool avec fringues et bolides de luxe nécessaires à son rôle d'infiltré, subissant des vagues de dépression et d'excitation liées à sa double identité. Avec le recul, la prestation de Don Johnson paraît indépassable. Il était totalement Sonny. Nonchalant et fiévreux, il incarnait l'esprit de la série, ce spleen cocaïné d'accélérations frénétiques, cette urgence paranoïaque à ne pas être découvert. Ses aspects suicidaires aussi.
Colin Farrel concentre son intensité, il fait ce qu'il peut, mais même si l'idylle suicidaire colle au personnage, jamais il n'exprime la schizophrénie originale. Son Sonny n'est pas Sonny. Et Miami Vice reste un petit film d'action, splendide visuellement, mais bien loin du niveau de son auteur.

Collateral


L’univers de Michael Mann, toujours singulier, extrêmement stylisé : une réussite à chacun de ses films. En ce qui concerne l’histoire, c’est variable : les grands sujets (Révélations), les drames épiques (Heat), le souffle du récit (Le dernier des mohicans), tout ça convient bien à l’ampleur du style. Quand le sujet est plus ténu, la mise en scène tourne un peu à vide. C’est le sentiment que laisse Collatéral, surtout dans la deuxième partie. Le début du film est très beau, énigmatique, majestueux. Mais une fois le système mis en place, les péripéties restent dans le système, et la fin est difficile à gober.

Heat


LA rencontre Pacino - de Niro. Pas impressionné par ses deux stars, Michael Mann les intègre dans un thriller funèbre très stylisé, très maîtrisé. En filmant le criminel comme un expert consciencieux et le policier comme un mafioso survolté, il permet le rapprochement au cours d’une scène presque anodine, pivot du film, après laquelle se déchaîne la fatalité. La mécanique du scénario est implacable, tous les acteurs sont impeccables, même Val Kilmer. L’imbrication des histoires personnelles, intimes, familiales, à la trame policière est parfaitement réussie et n’affaiblit jamais le rythme de la narration. C’est d’une grande beauté. Un chef-d'œuvre.

Mémoire effacée


Un thriller psychologique avec Julianne Moore, belle promesse d’intensité subtile. Le début de l’histoire est intrigant, porté par la conviction de la poignante Julianne et par une belle photographie, pas anodine. L’intrigue progresse vers le fantastique, mais un fantastique intéressant, dont on ne sait pas s’il provient de la psychose des personnages ou s’il est réel. Certains effets extrêmement saisissants alimentent curieusement cette incertitude, plus proche de visions lynchiennes que du tout venant numérique. Evidemment, il faut une fin, une résolution de l’énigme, et c’est là que ça se gâte. On sent bien qu’il ne s’agit pas que d’une pirouette scénaristique, mais c’est tout de même bien décevant, et même un peu ridicule. Très ridicule.

The Island


Les studios hollywoodiens, fascinés par le phénomène Harrison ford – acteur présent dans tellement de succès colossaux du cinéma d’action, des Star Wars à Indiana Jones – ont sans doute décidé que le relève serait assurée par Ewan McGregor puisqu’il est sympa, et que George Lucas en a fait son Obi-wan. On aimerait bien que ce soit vrai, mais il faut regarder la réalité (et sa filmographie) en face : à part Trainspotting, dans lequel il était miraculeusement bon, il a toujours été terne et inintéressant. Je suis sûr que c’est un chouette gars, avec qui on peut boire des bières et jouer au billard, mais comme acteur il vaut pas tripette. Et il continue de monopoliser les écrans, avec sa fadeur goguenarde. Quand le film se tient, il en constitue le point faible (Big Fish), mais quand il est mal foutu, c’est la Bérézina. Ou c’est The Island.

Layer cake


Depuis que Guy Ritchie est devenu Monsieur Madonna, il a délaissé l’exploration du petit monde de caïds londoniens minables et terrifiants qu’il a inventé avec Lock, Stock et Snatch. Les bonus DVD de ces deux petits bijoux mettaient en valeur la contribution à leur réussite du producteur Matthew Vaughn. Cependant, de la production à la réalisation, il y a un gouffre artistique, et l’on pouvait craindre que le talentueux producteur y tombe. Prudent, il a choisi d’adapter un roman aussi foisonnant et complexe que les scénarios de Ritchie, pour rester dans une veine connue. Encore plus prudent, il a fait appel à de vrais comédiens. Le résultat est plutôt réussi, même si on perd le fil de l’intrigue par moment. Et curieusement, les meilleurs moments sont ceux qui se démarquent des films de Ritchie, quand Vaughn le réalisateur impose sa vision, son tempo. La photo est assez formidable, bien composée, élégante. Elle colle parfaitement au personnage principal, héros minéral, sans patronyme, interprété avec finesse et retenue par Daniel Craig. Quelques tics de mis en scène subsistent, des transitions visuelles très ludiques (et réussies) entre les plans, une bande son envahissante. Les comédiens ne sont pas tous maîtrisés (Colm Meaney en roue libre). Gageons que Vince Vaughn, rasséréné par cet essai transformé, saura prendre encore plus de distance avec ses premières productions la prochaine fois.

Cursed


Avec la série des Scream, Wes Craven a acquis une légitimité d’auteur (mineur), et son scénariste Kevin Williamson la réputation de transformer les thèmes du film d’horreur en de jubilatoires et ludiques films pour adolescents, remplis de mises en abyme, de second degré, de citation du cinéma de genre, avec retournements en tous sens et, cerise sur le gâteau, histoire plausible. Franchement, ça se discute. La série des Freddy reste pour moi l’œuvre majeure de craven, où il a exploré l’univers très particulier du
« cauchemar réel » avec inventivité et talent. Les Scream me semblent artificiels, lourdingues et assez peu terrifiants. C’est des histoires sordides de gens qui se déguisent pour tuer d’autres gens, pour des motifs triviaux. Aucun mystère, aucun malaise. Un petit jeu de piste malhonnête pour deviner qui est le tueur. Le loup garou étant à la mode, j’espérais qu’il résisterait mieux à cette approche artificielle qui semble donc être devenu la marque de fabrique du duo Craven/Williamson, la nature fantastique du sujet obligeant à sortir du scénario banal « qui est déguisé ? ». La présence de Cristina Ricci m’incitait également à penser que ce projet serait un peu plus profond. Hélas, les auteurs retournent à leur petit jeu du « Qui est le loup garou ? » sans explorer l’aspect mythique autrement qu’avec une approche purement technique et opérationnelle. Ils réussissent même à réintroduire des prétextes banals et stupides (jalousie, rivalité) aux actions des protagonistes. Visuellement, c’est une horreur, les créatures sont moches et pas crédibles une seconde. Pourtant, depuis le Loup Garou de Londres jusqu’à Van Helsing, en passant par La Compagnie des Loups et Underworld, il y a de la documentation sur le sujet ! Il n’y a rien, vraiment rien, à sauver dans ce naufrage.

Batman begins


Petite déception pour ce Batman confié à Christopher Nolan. Au lieu de se concentrer sur la psychologie angoissée, paranoïaque et schizophrène de l’homme chauve-souris, l’auteur de Following et de Memento se coltine une intrigue tellement touffue qu’il sacrifie à l’action les zones d’ombre du personnage. Personnellement, je me serais contenté de la première partie du film (comment Bruce Wayne perd ses parents, son rapport subséquent à la peur, son initiation au sein de la Ligue des Ombres, son retour à Gotham), étirée sur les deux heures du film. Tel quel, tous les travers du mauvais film d’iniation apparaissent : histoire hâchée, ellipses douteuses, pas d’approfondissement psychologique des autres personnages, formation ultra rapide et peu crédible… J’ai du mal à croire que Nolan ait écrit et monté ça ! La suite du film ne souffre pas tout à fait des mêmes défauts, mais elle est nettement moins captivante : police corrompue, trafics de drogue, parrain intouchable… Gotham ne semble pas plus décadente qu’une autre mégalopole. (La thèse finale du film étant que la théatralisation de la justice par Batman crée des méchants hauts en couleurs comme le Joker… Mouais…) Et puis, je trouve Christian Bale pas très attachant, on a l’impression qu’il subit tout.
Encore une petite chose : l’apparition de Morgan Freeman en scientifique multicompétent (je fabrique des armes ultra technologiques mais aussi des vaccins à la demande, et ça tombe bien j’ai justement une batmobile en stock !) est tout bonnement ridicule, scénaristiquement parlant ! Alors voilà, un film à voir pour Michael Caine, parfait comme d’habitude, et pour Rutger qui pour une fois n’est pas le méchant.

Le roi Arthur


Attention, scoop ! Le roi Arthur était en fait un général romain responsable de la garnison du mur d’Hadrien, et ses chevaliers de la table ronde, de farouches cavaliers scythes enlevés à leurs familles ; Guenièvre une celtique sauvageonne des bois, toute peinturlurée, et Merlin un genre de druide. Comme des vilains saxons hirsutes veulent envahir la Brittania romaine, Arthur et les celtiques des bois s’associent. C’est censé être la dernière mission des chevaliers de la table ronde avant qu’ils soient affranchis. Antoine Fuqua filme le carnage exactement comme il filme les fusillades de Los Angeles. C’était plutôt logique et réussi dans Training Day, mais là c’est frénétiquement stupide. Il faut dire qu’il n’est pas aidé par Clive Owen, aussi charismatique qu’une bûche, ni par Kiera Knightley, très jolie mais complètement hystérique ! C’est de loin la pire version de la légende arthurienne qu’il m’ait été donnée de voir.
Ah ! non, Rohmer en a fait une !

Sin City


Sin City est un objet filmique hors du commun, ultra stylisé, et une superbe réussite. Ce qui n’aurait pu être qu’un maniérisme se révèle aussi puissant que dans la BD d’origine : un univers graphique parfaitement adapté au contenu de ces sombres histoires. Le fait que Miller ait co-réalisé le film y est sans doute pour beaucoup, Robert Rodriguez n’étant pas un cinéaste très subtil. Comme dans la plupart des films à sketches, c’est inégal : Bruce Willis est pas mal, Clive Owen est pas bien, mais surtout, Mickey Rourke est immense ! Même défiguré, il est intense et puissant. C’est le retour du grand Mickey de l’Année du Dragon et de Barfly, le seul acteur assez allumé pour prendre la relève de Brando. Sinon, le sang est blanc ou jaune, donc on peut emmener les enfants !

Alexandre


Dès le générique, l’angoisse monte : me suis-je trompé de salle ? Est-ce la musique des Chariots de Feu ? Au secours ! C’est bien Vangelis au synthé ! Je croyais qu’il l’avait remisé, mais non, c’est bien le même son, les mêmes nappes sirupeuses avec par moment quelques arpèges de piano. On est tout de suite transporté en pleine antiquité, c’est fou ! Et pendant deux heures trente, c’est comme ça ! Avec Colin Farrel en surfeur décoloré, amoureux d’une mère possessive (Angelina Jolie et ses grosses lèvres, identique à vingt ans et à cinquante ans), et donc homosexuel (mœurs grecques obligent) et avide de conquêtes guerrières (subtile sublimation du désir œdipien). C’est extrêmement mal filmé, avec des ralentis sur les sabots des chevaux pendant les batailles, et très répétitif. Les moments intéressants sont expédiés en voix off (“ À ce moment là, le père d’Alexandre est assassiné, il est propulsé au pouvoir à dix-neuf ans, il part à la conquête du moyen-orient, de l’Égypte; à vingt six ans il règne sur un empire immense et s’apprête à conquérir Babylone ”), mais on a droit à maintes séances de danse du ventre offertes au conquérant par les tribus soumises. Oliver Stone fait des films pour déranger. C’est sûrement hyper subversif, pour lui, de montrer un empereur légendaire en train de rouler une pelle à un des ses soldats. Pendant tout le film, j’ai pensé au Sacré Graal des Monty Python, surtout à l’épisode dans lequel Lancelot sauve une damoiselle en détresse qui s’avère en fait être un damoiseau. Sans le synthé de Vangelis, ç’aurait pu être un bon moment !

Gangs of New-York


Je n’avais pas été emballé par le précédent Scorcese en costumes, Le Temps de l’Innocence. Scorcese est un cinéaste de la vitesse, du montage, de la musique rock qui traverse l’écran. C’est un cinéaste du cinéma, ses codes de narration racontent le cinéma, utilisent l’histoire du cinéma. La caméra peut tournoyer autour de Jake La Motta sur le ring, parce que les caméras existaient au temps de ces combats. C’est aussi débile de faire tournoyer la caméra dans une histoire du XVIIIe ou XIXe siècle que de faire porter des baskets aux personnages. Scorcese le sait, il bride sa caméra. Et du coup il n’est plus lui même. Dans Le Temps de l’Innocence, il ne restait pas grand chose à sauver, à part le très beau générique de Saul Bass. Dans Gangs of New-York, il y a un peu plus de matériau à filmer, une vengeance qui donne une bonne colonne vertébrale à l’histoire, et surtout il y a un personnage, Bill the Butcher, ogre hyperviolent et drôle, grotesque et terrifiant, magistralement habité par Day-Lewis, qui dévore les autres acteurs (DiCaprio pas très convaincant, Diaz complètement à côté de la plaque) en faisant un sort à chacune de ses scènes. C’est une prestation hallucinante qui justifie le film à elle seule.

Aviator


Howard Hughes est un monument américain. Sa vie fut bien remplie, entre ses psychoses obsessionnelles, son ambition, ses conquêtes, ses exploits, ses combats, etc. Trop remplie, peut-être. Dans le film, aucun thème ne domine, c’est juste une suite d’événements. Ici, pas de rédemption. Le type un peu siphonné et très riche du début l’est toujours à la fin. Et, problème, ce type est joué, avec beaucoup de conviction, par DiCaprio. C’est horrible, la conviction, quand ça ne donne rien ! Il n’y peut rien, il a la tête d’un gamin de quinze ans. C’est comme ça. Quand il veut jouer le quadra blessé avec une fausse moustache, on dirait vraiment un gosse déguisé. Il a une voix de gamin. C’est pas crédible une seconde. Tous les autres acteurs sont parfaits, ils existent, mais DiCaprio essaye, on voit qu’il joue, qu’il fait de son mieux, et c’est encore pire. Il y a une scène avec Jude Law et Cate Blanchett, interprétant Errol Flynn et Katharine Hepburn. Ils sont étincelants, et pourtant c’était pas gagné. C’est Errol Flynn et Katharine Hepburn dans un restaurant, assis à la même table que Léonardo DiCaprio. Et c’est vraiment long, comme film.

36 quai des Orfevres


On a parlé d’un Heat à la française. J’en ris encore. Michael Mann est un styliste qui réinvente le monde dans chacun de ses films. Ici, le réalisateur ne sait pas comment montrer son intrigue. Alors il utilise des tics d’autres réalisateurs, des effets sans contenu. Un exemple : Auteuil, super flic, super mari et super papa, fait un câlin à sa petite fille avant de partir au boulot. On est dans la cuisine. Le réalisateur a l’idée d’une transition qu’il a repéré ailleurs, avec la caméra qui effectue un travelling latéral et passe derrière un obstacle au premier plan (un mur, en général), obstacle qui envahit l’écran, et, le travelling continuant, on ressort de l’autre côté dans une autre scène, l’obstacle en question sortant par le côté opposé. Cet espèce de volet peut être très dynamique. Mais là, le réalisateur oublie de faire bouger la caméra ! Il n’y a pas de travelling ! On a donc l’impression qu’il y a un mur qui se déplace dans la cuisine d’Auteuil ! Et qu’il y a un mur qui bouge dans la rue dans le plan suivant ! Gégé et Auteuil font leur numéro de flic mutique, au sein d’une histoire pleine de péripéties pas très crédibles (si ça se trouve, c’est des faits inspirés de la réalité, mais quand c’est mal raconté…). Si on veut vraiment voir du bon polar français, mieux vaut se reporter aux films de Durrenger, avec l’époustouflant Gérald Laroche, a qui j’aurais donné tous les rôles de ce médiocre 36.

Eternal sunshine of the spotless minds


Sa fiancée l’a fait disparaître de ses souvenirs. Il décide de faire pareil. Scénario encore une fois brillant de Charlie Kaufmann, sur le thème de la personnalité et de l’amour. Servi avec intelligence par Michel Gondry. Et Kate Winslet. Mais pas par Jim Carrey. J’adore Jim Carrey. J’aime ses imitations, ses transgressions, sa folie. C’est le plus grand acteur comique de sa génération. Mais je le trouve mal employé dans des rôles de composition. Parce qu’il ne peut pas s’empêcher d’être lui-même. C’est le seul défaut que je trouve à ce film épatant, à la narration très riche et pourtant très compréhensible, poignant et poétique.

Intolérable cruauté et Ladykillers


Quand les Coen font un film noir, c’est grotesque, macabre et hilarant. Quand ils essayent de faire un film hilarant, c’est à peine drôle. C’est peut-être le casting : Clooney en fait trop, Hanks en fait trop. Non, le héros d’un film des frères Coen doit être impassible pour être drôle. Billy Bob Thornton dans The Barber. Goodman, Buscemi, William H. Macy et surtout l’immense Turturro (lui il peut en faire trop, c’est toujours tellement fort que ça passe). C’est peut-être tout simplement pas leur truc, la comédie. Leur spécialité, c’est plutôt la Comédie Humaine. Il ne faut pas qu’ils essayent d’être drôles, ils ont juste à être eux-mêmes.

Irréversible


C’est un film absolument insupportable à regarder. Et pourtant, c’est l’œuvre d’un véritable auteur, avec un style et des codes de narration très personnels. Les deux scènes de violence insoutenables, filmées de manière très réalistes, nous renvoient à notre condition de spectateur impuissant. Elles hantent longtemps. D’autant plus que le montage à rebours des séquences empêche la scène de vengeance de jouer son rôle traditionnel de compensation. Et souligne son absurdité. Noé répond à la violence par des scènes de bonheur et d’harmonie. En inversant le fil des péripéties, il ne nous laisse pas le choix d’attribuer une valeur morale autre que celle contenue dans les actes montrés. C’est très fort. C’est trop fort. C’est insoutenable.

Immortel (Ad vitam)


Il m’arrive rarement de ne pas regarder un film jusqu’au bout. Je trouve toujours de l’intérêt quelque part, ne serait-ce qu’à analyser les raisons de l’échec. J’éprouve un grand respect pour le travail énorme fourni par tous ces gens, et même quand c’est raté, j’essaye de trouver du plaisir, que ce soit dans le second degré ou dans l’expertise technique. Mais là, j’ai pas tenu plus d’une demi-heure. Je n’ai pas supporté le mélange entre les acteurs réels et virtuels. J’ai espéré qu’il avait un sens. Que les personnages en 3D étaient des mutants, que la forme choisie répondait à une exigence de fond. Que ce film était un chef d’œuvre, une vision de science-fiction sur le cinéma de science-fiction, une réflexion sur la virtualité. Je n’ai rien trouvé d’autre qu’une honnête transposition de l’univers graphique de Bilal. Grande déception.

Underworld


Depuis les livres d’Ann Rice, les vampires sont beaux, sophistiqués, élégants, sexys, ils vivent en communauté dans des tenues de cuir moulantes, de latex et de dentelles. Ils considèrent les humains comme du bétail. C’est assez fascinant, ce monde décadent, cette aristocratie décatie et perverse de damnés. Une autre communauté monstrueuse, constituée de loups-garous celle-là, entre en rivalité avec ces morts-vivants glamours, à propos d’une prophétie – encore une prophétie ! - annonçant la venue d’un être suprême, croisement des deux espèces. Entre les loups-garous parias et les vampires nobles, c’est un genre de lutte des classes qui se dessine. Les mobiles des premiers s’avérant finalement assez humanistes, si je puis dire, on pourrait presque parler de film social-fantastique. Presque. L’histoire se tient à peu près, c’est bien fichu, c’est attrayant visuellement (et pas que pour Kate Beckinsale en petite tenue !). Bon, d’accord, la fin n’est pas terrible. Et la suite, un énorme ratage.

La ligue des gentlemen extraordinaires


Quand des personnages mythiques de la littérature fantastique se liguent contre un ennemi mystérieux, on pourrait penser que le plaisir est multiplié par le nombre des protagonistes. Encore faudrait-il qu’il y ait, au-delà de l’exposition des héros, une histoire intéressante à suivre. Une fois que chacun a fait son petit show introductif, que le groupe est formé, les rivalités et les connivences établies, le scénario stoppe net, pour laisser place à des poursuites, des explosions, des fusillades, des créatures de synthèse, bref le tout venant sans imagination d’une production fantastique hollywoodienne d’aujourd’hui. Les personnages nous restent étrangers, y compris l’Allan Quatermain incarné sans conviction par Sean Connery. Il y a même un aventurier américain artificiellement greffé à cet univers fantastique européen. Le méchant s’avère être en fait… Oh, et puis peu importe, c’est extrêmement décevant, ce n’est pas la peine d’aller jusque là. Oublions.

Hellboy


Réaliser un bon film, c’est raconter une histoire intéressante, faire exister des personnages. Qu’ils soient issus d’une BD, d’un bouquin ou d’un scénario original, peu importe. Seul le résultat compte. L’histoire de celui-ci ? Des monstres de synthèse se multiplient à cause d’un grand méchant. Hellboy les explose. Pendant les trois quarts du film. Puis un plus gros monstre de synthèse sort du grand méchant, sans aucune cohérence avec la vague intrigue. Hellboy l’explose. Fin du film. Aucun intérêt. Même pas drôle. Et bien sur, on annonce une suite.

La mémoire dans la peau, la mort dans la peau, Bloody Sunday, la vengeance dans la peau




Thème classique, l’amnésique à la recherche de son identité. Mais quand il y a une bonne histoire, quand chaque scène fait progresser le récit, quand chaque bagarre, fusillade, course-poursuite ont un sens, ça peut être passionnant. La quête est à la fois jubilatoire et effrayante, ce que Matt Damon arrive à faire ressentir à merveille. Il est étranger à lui-même. Ce qui le rend si proche. C’est un film d’action fascinant.

Pour faire croire que la suite n’est pas qu'une initiative commerciale, un réalisateur auréolé d’une réussite dans la fiction documentaire a été embauché ; Matt Damon a déclaré qu’il n’y participerait qu’à la condition que le scénario soit bon ; la promotion a insisté sur le fait qu’il s’agissait de l’adaptation de la suite du livre, et non pas de la suite du film ; on a engagé les mêmes acteurs, plus Joan Allen et un des guerriers farouches du Seigneur des Anneaux (Karl Urban, inexpressif). Peine perdue ! C’est un navet, inintéressant de bout en bout, parce qu’il est décalqué sur le premier film, et donc sans aucun intérêt, puisque tout est déjà dévoilé. Avec beaucoup de cascades, fusillades et péripéties qui ne mènent à rien. Le plus drôle étant Joan Allen. Elle a dû recevoir la consigne d’imiter Chris Cooper, le méchant du premier film. Elle le fait bien. C’est ridicule. La production a même recasé un second rôle (Julia Stiles) dans une tentative grotesque pour recréer l’équipe. Matt Damon interprète son personnage comme dans le premier film, ce qui n’a aucun sens. J’espère qu’il a gagné beaucoup d’argent car je l’aime bien.

Le réalisateur, Paul Greengrass, est l’auteur d’un film réquisitoire contre l’armée britannique, coupable du massacre d’innocents participants à une marche pacifiste en Irlande du Nord. Les faits sont terribles, et la démonstration semble implacable, filmée comme un documentaire, c’est à dire comme si un caméraman avait été présent pour filmer toutes les scènes du film. Donc l’image tremble, le cadrage est imposé par l’action, caméra à l’épaule, son d’ambiance. Mais on se rend vite compte qu’il s’agit d’un truc de mise en scène, parce qu’il ne peut pas y avoir de caméraman présent pour filmer certains plans. Le procédé se retourne contre lui-même puisqu’il apparaît comme une tricherie. Une tentative pour masquer la subjectivité du propos qui finalement attire l’attention sur la reconstitution partiale et finit par desservir le film. Le propos est peut-être admirable, les acteurs sont exceptionnels, mais n’aurait-il finalement mieux pas fallu traiter cette histoire de manière plus distanciée, sans point de vue clairement identifiable ?
Quand Paul Greengrass réalise La mort dans la peau, il conserve partiellement les trucs qui ont fait le succès de Bloody Sunday, et on se rend bien compte qu’il s’agit d’un artifice de mise en scène destiné à plonger dans l’action. Et le spectateur sait qu’il n’y a pas, dans l’histoire, de cameraman assit à l’arrière de la voiture pilotée par Matt Damon. L’image tremblante, le cadrage décalé, privilégient le fond (l’histoire) par rapport à la forme (l’esthétique). Mais ce sont surtout des manières de ne pas choisir, et finalement de ne pas mettre en scène.
D’ailleurs, Greengrass calme le jeu pour filmer La vengeance dans la peau – sans doute parce qu’il n’y a plus de fond du tout. Sans enjeu réel, cet ultime épisode suit Jason Bourne aux quatre coins du monde, dans des péripéties frénétiques qui démontrent à nouveau son extrême qualification – mais à quoi bon ? C’est assez haletant, Matt Damon fait son numéro habituel, mais in fine ces courses-poursuites ne mènent pas loin. On connaît son vrai nom. Super.

Gladiator et Kingdom of Heaven


Pourquoi donc Gladiator est-il une réussite, et pas Kingdom of Heaven. Le temps des croisades ne vaut-il pas celui des César ? La destinée du général romain devenu gladiateur est-elle plus vraisemblable que celle du forgeron devenu chevalier ? La maestria narrative de Ridley Scott ne saute-t-elle pas aux yeux (corps-à-corps stylisés à l’extrême, magnifique exposition des stratégies militaires, beauté des compositions) ? Les contextes ne sont-ils pas également riches en figures historiques qui donnent aux péripéties une profondeur particulière, une véracité poignante (Marc-Aurèle, Salladin…) ? Les acteurs ne sont-ils pas parfaits ? Ah ! Non ! Ils sont tous parfaits sauf un. C’est pas qu’il joue mal, Orlando Bloom, ni même qu’il manque de conviction. Il n’est simplement pas assez intéressant pour que Ridley Scott lui consacre un plan fixe, une respiration méditative, un espace d’inactivité. Il ne l’inspire pas. Donc il le fait cavaler, crier, pleurer, pourfendre, creuser des puits, séduire une princesse, sans jamais mettre en valeur son épaisseur psychologique. Qu’il n’a d’ailleurs pas. Le succès planétaire du Seigneur des anneaux l’a catapulté en tête de liste des espoirs du film d’aventure parce qu’on a confondu le personnage de Legolas et l’acteur qui l’incarnait. Mais Legolas est si fabuleux que n’importe qui aurait été génial ! Russel Crowe peut se permettre de ne presque rien dire en regardant le ciel, il est passionnant. Il incarne avec densité Maximus, le général devenu esclave, tandis que le forgeron Balian reste une enveloppe creuse, même chevalier, même sauveur de Jérusalem, qu’il cavale à travers les champs de bataille, qu’il crie du haut des remparts, qu’il pleure sur le Golgotha ou qu’il pourfende les sarrasins.

Snatch et Arnaques, crimes et botanique


On peut dire à peu près la même chose des deux films, Snatch étant une version enrichie de Lock, stock and two smoking barrels (je ne sais pas ce que ça veut dire, mais je suis sûr qu’il y avait mieux à trouver que le titre français !). Dans les deux films, des truands plutôt maladroits et sympathiques sont pris dans un engrenage et tentent de s’en sortir. Peu importe que l’engrenage soit parfaitement compréhensible - on est pas chez David Mamet - tant que l’histoire reste lisible et cohérente d’un bout à l’autre, au moins superficiellement, de telle manière que jamais on ne se demande ce qui se passe, et que l’on peut se laisser aller au plaisir de la narration. Quel rythme, quelle énergie, quelle invention ! C’est drôle et grotesque, virtuose, étonnant, ça ne se prend jamais au sérieux. Quel montage ! Quelle bande-son ! Bien sûr, c’est archi violent, mais c’est un univers de brutes, de criminels givrés, de caïds sadiques. Et c’est tellement drôle ! Il faut absolument que Ritchie continue dans cette veine burlesque et graphique. Pour moi, il peut réaliser cinquante fois le même film. De toutes façons, c’est ce que font les grands auteurs, non ?

Last action hero


Le gros défaut de cette parodie de films d’action idiots, c’est d’être trop réussie, trop subtile, finalement inadaptée pour le grand public. Sans même parler de la référence à Bergman ! Au lieu d’appuyer la caricature, MacTiernan opte pour une fine analyse de cinéma de genre, déployant sur toute la gamme de la cinématographie de légères distortions. C’est un régal, mais pas au niveau de l’objet-film, plutôt à celui d’un brillant et spirituel cours de mise-en-scène. Par contre, c’est un piètre film d’action - exactement le but recherché. Auteur de réussites incontestables dans le genre - ses deux Die hard, Predator, Octobre rouge - MacTiernan démontrait finalement une chose, c’est qu’il n’a pas le sens du comique. Depuis, il a malheureusement prouvé qu’il pouvait aussi rater des films d’action ! Quelque chose s’est brisé suite à l’échec de Last action hero.

Matrix, Matrix reloaded et le troisième que je ne verrai pas


Matrix (le premier de la série) est une grande réussite. L’absence totale de réalisme trouve parfaitement sa justification, des effets spéciaux très créatifs aux costumes caricaturaux (le costume-cravate-lunettes noires pour un camp, la panoplie cuir sophistiquée-lunettes noires pour l’autre). La révélation de la véritable nature de la matrice est une vraie surprise, qui éclaire la première partie du film et lui donne sens. Le monde révélé - le vrai - est juste esquissé, et donc plus abstrait et irréel que la matrice, et c’est une bonne chose : le récit ne s’éparpille pas, et l’intrigue peut progresser. La thématique de l’élu, pas très originale, est traitée ici avec nuance, ce qui rend le récit captivant jusqu’à la fin. La grande réussite de Matrix, ce qui rend le film passionnant et unique, c’est le procédé par lequel le groupe de rebelles se redéfini pour habiter la matrice. La manière dont ils choisissent de s’incarner dans le monde virtuel, leur style - look, armes, comportement - est présenté comme un absolu de l’attirail du rebelle. Ces options, très sensuelles, gothiques et design, pourraient être toutes autres, militaro-punk ou sauvage-hippie, que sais-je, Massaï, aborigène… Mais non, le rebelle des frères Wachowski est un biker-cowboy moulé de cuir qui pratique le kung-fu et le maniement des armes à feu, parfaitement intégré à la pensée dominante du film d’action, entre citation des westerns spaghetti et frénésie venue de Hong Kong. Intégré, et même dominant. C’est un rebelle qui se situe en haut de l’ordre social, et pas vraiment en marge. Comme si les résistants n’assumaient pas leur marginalité - ce qui mène à la trahison pour l’un d’entre eux. Quand un film d’action efficace se nourrit de questionnements existentiels, quel plaisir !
Mais quelle erreur d’avoir cédé à la tentation des suites ! L’intrigue de Matrix reloaded, tarabiscotée et incompréhensible, ne mène nulle part, les combats sont des copies artificiellement gonflées de ceux du premier film, Keanu est habillé comme Don Camillo, on nous refait le coup des prophéties et des oracles. Mais si ce n’était que cela, un peu du plaisir du premier film pourrait encore être trouvé. La grosse erreur, c’est d’avoir représenté le monde réel. Du statut de cité mythique, on tombe à celui de cavernes post-apocalypse peuplées de mannequins suants au rythme d’une musique techno-tribale. C’est Ibiza ! Avec par là-dessus un genre de gouvernement, des amiraux, façon Galactica - la guerre des étoiles du pauvre - sauf qu’on est pas dans l’espace. En fait, on ne sait pas où on est. Le monde réel est absolument incompréhensible ! Je dois dire que j’ai beaucoup rigolé à la vision de Matrix reloaded, mais le deuxième degré, à force…

Le jour d’après


En quelques films, Roland Emmerich a fait évoluer le cinéma hollywoodien vers un gigantisme cataclysmique assez gonflé, osant représenter des destructions de capitales ultra expéditives, s’amusant à lâcher Godzilla dans New-York et autres aventures de petit garçon qui écrabouille ses jouets. Ses thèmes de série B de science-fiction, avec ambiances mystérieuses, savants perdus en conjectures, révélations terrifiantes, convenaient parfaitement à l’univers du petit garçon. Mais comme il fallait toucher un vaste public, constitué par exemple de grands garçons sérieux, et même de grandes filles, Emmerich terminait ses films dans une guimauve héroïque, bien-pensante et larmoyante. Avec des orphelins adoptés, des sacrifices et tout le bazar. Comme si il n’assumait pas son penchant pour les thématiques crétines. Avec le jour d’après, son absence de monstres, d’extra-terrestres, et son relatif réalisme, la démesure des destructions trouve une pertinence qu’il n’est plus nécessaire de contrebalancer par un excès de niaiserie. L’héroïsme se justifie, grâce à l’épatant Dennis Quaid, avec son sourire désarmant de gamin obstiné, dans le rôle du scientifique-qui-avait-raison seul-contre-tous, mais aussi du papa-sauveteur-héroïque. Si on peut suspecter l’opportunisme dans ces préoccupations écologiques à la mode, elles assènent néanmoins un message d’alarme efficace, et le mea culpa politique final témoigne d’une prise de conscience qui pourrait bien laisser des traces.

Un long dimanche de fiançailles


Jeunet peut être indigeste. Trop de plans, trop de surimpressions, trop d’effets, trop d’idées, peuvent parfois étouffer la sensibilité du récit. Une idée par plan, c’était la recommandation de Truffaut, et on l’avait interprétée comme “au moins une idée”. Avec jeunet, on est tenté de spécifier “pas plus d’une idée par plan” ! C’était le seul défaut d’Amélie Poulain - qui restait cependant très digeste. Délicieux, même. Dans son long dimanche, L’équilibre est presque parfait: l’histoire est nourrie des inventions, les digressions sont discrètes et heureusement expédiées, et l’intensité ne faiblit pas. C’est un excellent spectacle, drôle, émouvant, original. Encore un petit effort, moins de frénésie, quelques séquences de mécanismes à supprimer - ça devient presque un tic, et franchement, le détonateur de la bombe dans le toit de l’hopital, c’est pas super, on est plus dans le grotesque, là, on est dans le drame humain absolu, où ce genre de détail me semble assez obscène - pour que Jeunet passe du statut de petit maître culte à celui de grand cinéaste, dont il a incontestablement l’étoffe.

Blade, Blade 2 et Blade Trinity


Pour qui aime le film de vampires, Blade apporte une contribution singulière. Vampire résistant au soleil et désireux d’éliminer tous les autres vampires par vengeance, secondé par un mentor qui lui prodigue armes et gadgets en tous genres, obsédé par un passé mystérieux, le personnage de Blade rend intéressant une grande partie du film. Il intrigue, il fascine, il est puissant, impitoyable, marmoréen. Il désintègre ses ennemis à coup d’effets spéciaux originaux. Il est perclus de dilemmes, il se sent vaciller. Il existe. Le reste du scénario, une énième histoire de prophétie, n’est pas aussi consistant, tout comme le méchant vampire en chef, banalement sadique, ricanant et branché. Mais tout cela est filmé avec le souci du récit et des personnages. Ce qui n’est pas le cas de Blade 2. Qui se place d’emblée comme une autre aventure plutôt qu’une suite, un des personnages principaux décédé dans Blade étant présent dans Blade 2. Cette fois, il n’y a pratiquement plus de scénario, juste les péripéties de très monstrueux vampires d’un nouveau genre qui veulent dominer les autres vampires. Et là, je pose la question : qu’est-ce qu’on en a à faire, des luttes de pouvoir entre méchants vampires d’un côté, et très méchants vampires de l’autre ? Rien. Il y a bien un commando de vampires qui s’allie au héros, avec quelques personnages potentiellement savoureux, mais on ne prend pas le temps de dépasser la caricature pour faire exister l’un ou l’autre de ces personnages. C’est que, ce qui l’intéresse, le réalisateur, c’est la baston. Sous toutes ses formes. C’est saoulant et c’est idiot et ça n’en finit pas. Pour le dernier épisode de la série, Blade s’entoure (à son corps défendant) d’une équipe répondant aux critères du films d’ado, à savoir une pin-up combattante gentille et une pin-up combattante méchante et perverse, un costaud mignon et rigolard et un costaud méchant et ridicule. Il combat le vampire originel, qui n’est autre que Dracula – quelle originalité ! – sorte de dandy moyen-ageux qui se transforme à volonté en monstre diabolique surpuissant (mais attention, au lieu de se transformer au début de la baston, il attend d’être vraiment mal, comme dans les vieilles séries japonaises où le héros possède l’arme ultime mais ne l’utilise qu’au bout d’un quart d’heure, quand il se rend compte que les baffes et les pirouettes sont insuffisantes face à la menace extra-terrestre !)

Van Helsing


Stephen Sommers aime les monstres. Particulièrement les figures récurrentes du cinéma d’épouvante. Il aime les vampires, la créature de Frankenstein, les loups-garous, Mister Hyde. Il mélange tout dans une improbable cavalcade au scénario délicieusement crétin. Il donne dans le gigantisme pompier, il ne se refuse aucun effet facile, il s’amuse à se faire s’affronter ses joujoux. Avec le plus grand sérieux. C’est, au choix, jouissif ou complètement insupportable. Mais c’est cohérent.

Ronin


C’est peut-être un film parfait caché dans une peau de navet. Mais je ne le regarderai pas une deuxième fois pour vérifier. Je m’explique : c’est une histoire de mercenaires réunis pour faire un coup, qui rate, avec des trahisons, des explosions, des fusillades, des poursuites, tout ça poussif, mal filmé, mal joué, stupide. On pourrait s’arrêter là. Mais c’est un film de Frankenheimer. Scénario de Mamet. Avec de Niro, Jonathan Pryce, Lonsdale et encore un ou deux bons acteurs. Comment est-ce possible ? Voici mon hypothèse : Frankenheimer a fait ce film pour l’argent, et tous ces acteurs également. C’est donc doublement un film de mercenaires. En le ratant volontairement, il fait écho, dans la forme, au propos du film, également un ratage de mercenaires. Du coup, le film devient passionnant. Non ? Bon.